En passant Entre soi Woman

Chers jeunes parents, tout va bien

5 juin 2019

Vendredi après-midi.
RDV médical.
Dans une salle d’attente.

Rien que le fait de parler de salle d’attente pourrait être déprimant. Les salles d’attente sont généralement vieilles, moches, sombres et grises. Mais là, non. Tout l’inverse. Ça sent le propre, ça sent le neuf, c’est lumineux, la tapisserie bleue fleurie est design, les fauteuils assortis sont moelleux. Je ne connais pas encore le médecin avec qui j’ai rendez-vous, mais déjà, il a gagné des points.
Une femme, déjà installée, lit un magazine.
Récent le magazine.
J’ai dû tomber dans le monde parallèle des salles d’attente de médecins.

C’est alors qu’un couple entre, accompagné de leur petite fille.
Vu sa petite frimousse, ses petites dents encore présentes, je dirais 2 ans et demi.
La maman a un ventre bien rond. Je dirais 6 mois.
Le papa est en jogging. Je dirais « faux sportif ».
Oui, dans une salle d’attente, on a le temps de parier avec soi-même.
La petite gigote, parlotte, monte sur un fauteuil pour en redescendre aussitôt.
2 ans et demi. Normal.
Pas d’insolence, pas de turbulences, juste une gamine de 2-3 ans.

Mais apparemment, les parents ne partagent pas ma vision des choses. A peine bouge-t-elle, à peine parle-t-elle, qu’ils lui somment de ne pas bouger et de parler doucement.
La petite ne crie pas pourtant. La petite ne parle pas fort. La petite parle normalement, avec sa voix d’enfant.
Je regarde ce couple de jeunes parents, je les trouve trop sur le qui-vive, à la limite de l’exagération et puis… et puis soudain – soudain – je me vois. Je me rappelle.

Ce couple se comporte comme j’ai pu parfois me comporter.

Je me souviens de mon stress quand mes enfants faisaient trop de bruit dans un lieu public. En regardant ce couple, je comprends que ce « trop de bruit » n’était en fait que le bruit normal d’un enfant normal.
Mes enfants étaient loin d’être turbulents, loin d’être de ces gamines qui hurlent et que l’on a envie de claquer. Non, elles étaient comme cette petite fille de 2-3 ans. Rieuses, curieuses, drôles.

J’ai en face de moi une maman qui reprend sans cesse sa petite, qui lui dit fermement « doucement je te dis ! ». J’ai en face de moi un père qui serre plusieurs fois le bras de sa fille pour lui faire comprendre qu’il faut qu’elle se calme. J’ai en face de moi une petite fille adorable, qui ne fait aucune bêtise, qui ne me dérange aucunement et qui ne dérange aucunement la femme plongée dans son magazine.

Les jeunes parents s’obligent, s’infligent une autorité, un stress dont ils n’auraient pas besoin à ce moment précis.

J’aurais envie de leur dire que tout va bien, que leur petite ne dérange absolument pas, qu’au contraire elle est mignonne comme tout. Et puis je n’ose pas. La peur du fameux « Mêlez-vous de vos fesses ! ». Je me contente alors de sourire à l’enfant. Comme une complicité. Comme pour lui dire – à elle – que tout va bien.

Sur le chemin de retour, dans ma voiture, j’ai regretté. J’ai regretté de n’avoir rien dit. Je risquais peut-être me faire renvoyer dans mes buts, mais j’avais également une chance de dédramatiser. Dire à ces jeunes parents que les regards extérieurs étaient souvent plus bienveillants que ce qu’ils ne le pensaient.

La pression d’être de bons parents, de donner une éducation exemplaire, nous conditionne tellement qu’on en oublie notre objectivité.

Je me souviens d’avoir été parfois trop rigide. Le repas de 12h ne devait pas être donné à 12h10. En public, la voix devait chuchotée au maximum, limite muette ; le corps quasi immobile. Tout ça pour ne pas « déranger ». Pour donner une bonne image. Pour montrer, à tous et à moi en premier lieu, que je gérais tout, que j’étais « maman parfaite ».

Mon cul sur la commode.

Chers jeunes parents, c’est une « vielle parent » qui vous parle : lâchez prise. Respirez. Et à chaque fois demandez-vous si vraiment, au fond, votre enfant fait quelque chose de grave.
Votre enfant monte sur le fauteuil de gauche, redescend et monte sur le fauteuil de droite, pour à nouveau retourner sur celui de gauche ? Et alors ? Est-ce vraiment dérangeant ?
Votre enfant parle sans chuchoter et alors ? Votre enfant veut un gâteau à 16h au lieu de 16h30 ? Et alors ?
Ouais, quand on commence à penser à tout ça, on commence par trouver plein d’exemples et à tout mélanger.

N’empêche que ce jour-là, dans ma voiture, j’ai regretté de n’avoir pas dit que tout allait bien. Peut-être que ça n’aurait rien changé. Sûrement même. L’expérience des autres, comme on dit… L’avis d’une vieille conne… Et puis peut-être que cela aurait fait plus de bien à moi qu’à eux en fin de compte.

Moi, j’aurais aimé qu’on me dise. Et plusieurs fois même.

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