Nouvelle soirée en partenariat avec le théâtre. Cette fois-ci c’est pour aller voir un spectacle qui fait partie du festival Circonova, festival de cirque de Quimper. Titre du spectacle : « Ïopido (ou l’inverse) » par Sylvain Julien.
Pour cette soirée, thème du cirque oblige, j’ai voulu inviter des parents accompagnés de leur(s) enfants(s).
Je n’aime pas me renseigner sur les spectacles avant d’y aller. Souvent, comme les bandes-annonces au ciné, les critiques en disent trop, les vidéos parlent trop, les interviews dévoilent trop. Mais là, comme j’amenais mes enfants avec moi, je voulais en savoir plus. Savoir où je les embarquais.
Je tombe sur une vidéo au hasard. Je vois un homme qui bouge avec un cerceau sur une musique étrange. Un peu déçue. Je me demande où va m’amener ce spectacle.
Vendredi soir. RDV théâtre. Je fais connaissance avec mes invités, petits et grands. On s’installe dans la salle.
Les lumières s’éteignent. Silence.
Et puis une toute petite lumière, feutrée, dévoile le corps d’un homme qui tourne, qui tourne, qui tourne avec un cerceau rouge. Inlassablement. Suivant le même tempo. Le tout sur une musique sourde, chargée, assez anxiogène. Je pense au fœtus, à mes anciennes rondeurs, à ces bébés qui cherchent leur place, tels des chiens dans leur panier. L’homme ne s’arrête pas, il tourne encore, il tourne toujours.
« Maman ? Y’a autre chose ou c’est tout le temps comme ça ?’
Je ne suis pas étonnée de la question. Je me pose la même. A cet instant je suis inquiète. J’ai l’impression d’être sur une émission de danse sur Arte.
Et puis le déclic. Un ruban adhésif va devenir le grain de sable du mouvement en boucle. Et tout s’enchaîne. Sylvain Julien nous embarque dans son histoire avec son corps, avec ses membres rallongés de son cerceau, de ses cerceaux. Pour moi, une histoire de solitude. De vie trop bien rangée, où l’on ne se pose pas, où l’on ne s’arrête pas, où l’on ne prend pas le temps de s’arrêter. Les cerceaux, toujours en mouvement, sont là comme les métronomes d’un corps enfermé, complètement encerclé.
Et puis cling ! et puis clac ! d’autres surprises, d’autres grains de sables apparaissent et viennent tantôt le bouleverser, tantôt l’exciter, tantôt l’apeurer. Ces grains de sable qui font grincer les rouages de nos quotidiens lisses. Ces grains de sables qui empêchent de tourner en rond, qui nous font relever la tête.
Et puis l’histoire continue, composée d’exploits sportifs, d’illusions d’optiques, d’humour clownesque et de poésie colorée.
Et puis l’homme fait une rencontre. Brève. Brève et impossible. Ils ne parlent pas la même langue – mais parlons-nous ici vraiment des mots ?
L’autre s’en va, il redevient alors seul, reprend son cerceau et continue de tourner, tourner, tourner.
Les lumières s’allument.
J’ai regardé ce spectacle avec mes yeux adultes. Et malgré ma « lecture d’adulte » – ma traduction sur la condition de l’homme seul – je peux vous dire que j’ai eu le sourire sur les lèvres pendant tout le spectacle. Et les rires des enfants se sont fait entendre aussi tout du long. Ils ont vu un acrobate, un « drôle de monsieur, un peu bizarre, mais vraiment super ». Des cinq enfants qui étaient avec nous (6, 7, 8, 10 et 13 ans), tous ont aimé.
Sylvain Julien a l’instinct de nous balader sur le fil. Nous sommes pris par la fascination qu’il a de maîtriser le cerceau et à la fois embarqué par le fond de son histoire. Le cerceau n’étant qu’au fond juste le fil (rond) conducteur.
Le temps de prendre une douche et d’aller fumer une clope, Sylvain me rejoins au bar du Théâtre, cheveux encore mouillés et petites lunettes sur le nez. Plein de charme.
Je sens une certaine timidité, une certaine fragilité, mais le contact reste très facile. La discussion part. Avant ce spectacle, Sylvain travaillait pour les autres. Ce spectacle, c’est sa création, c’est la première fois qu’il travaille « pour lui ». Et je sens – il le dit très clairement – que ce n’est pas si simple. Il n’y a pas de regrets – parce que ce spectacle il fallait qu’il le fasse, je pense qu’il n’avait pas le choix que de passer par là, mais aura-t-il envie de recommencer l’aventure avec une seconde création ? La lourdeur de la production, la recherche de fonds, le management d’une équipe, les préoccupations financières… tout ça est loin de la création en tant que telle. Un créatif ne peut être comptable. Et en même temps, un créatif a besoin – à un moment ou à un autre – de sentir la page blanche sous ses pieds, sans cadre, sans direction, sentir qu’il peut aller partout où il veut aller et pas uniquement où on lui demande d’aller. Je sens Sylvain tiraillé. Et je sens – peut-être rira-t-il en lisant ces lignes – que le tiraillement fait partie de lui. Intrinsèquement.
Il me parle, ses mots, ses phrases me renvoient l’image d’un garçon assez ténébreux. Il sourit, lance des trucs qui me font rire, il y a de la joie dans tout ça, mais à la fois une certaine tragédie.
Je repense alors à son spectacle, à ce cercle qui encercle, à ses ronds qui tournent en rond. Je repense à cette phrase lancée en plein cœur de nos échanges « on a beau vivre ensemble, boire des coups, se parler, échanger… au fond de soi, il y a toujours une partie où l’on est, et où l’on sera toujours seul« .
Sylvain Julien rit, blague, parle, échange. Je ris, je blague, parle, échange. Vous riez, blaguez, parlez, échangez. Nos visages et nos corps diffusent pour la plupart du temps un bien-être visible et palpable. Mais c’est vrai, qu’au fond, tout au fond, il y aura toujours une petite pièce cloisonnée, sans accès extérieure, un cercle hermétique, d’où rien ne sort, d’où rien ne rentre, un studio pour certains, un labyrinthe pour d’autres, un endroit sans air et sans lumière, où seuls nos âmes ont accès.
Notre âme, dans notre cercle.
Ce soir, j’ai rencontré Sylvain Julien, un empêcheur de tourner en rond.
Mer-ci.
Prochaines dates :
8 février 14 : Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper (29)
20 février 14 : Théâtre de la Foudre, scène nationale de Petit-Quevilly (76)
15-25 mai 14 : Festival Polo CIrco, Buenos Aires, Argentine
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