Petit tour dans le programme du Théâtre de Cornouaille pour choisir le prochain spectacle.
Mes yeux s’arrêtent sur Schubert / Cavanna.
Schubert.
Je l’ai découvert il y a quelques années, avec La jeune fille et la mort. Schubert est un des rares compositeurs classiques, avec Bach, à m’avoir fait pleurer. Mais comment cela peut-il en être autrement, comment ne pas fondre en larmes en écoutant une musique aussi pure, extrême et mélancolique que La jeune fille et la mort ?
Je n’avais jamais été voir un concert classique. Ma curiosité était alors double. Découvrir Schubert en « live » et découvrir un concert classique.
En parlant de mon choix à Aurélia et Loïc du Théâtre, j’ai senti et entendu leurs doutes. C’était un bon choix mais était-ce un programme sur lequel je devais inviter des lecteurs ?
Oui. Oui. Oui. Le but de ce partenariat est aussi d’amener un public non initié à ce genre de spectacle.
Il faut l’étonner, l’amener là où il n’aurait jamais été sans nous. Que la personne aime ou pas, au final, quand je lance les invits, ce n’est pas là le plus important pour moi L’essentiel est de créer une rencontre entre la personne et un univers différent, créer la surprise, l’envie, la connaissance, l’apprentissage. Évidemment, si ça fonctionne, si l’Autre aime, c’est d’autant mieux. Mais si c’est le contraire, ce n’est en aucun cas un échec.
« On regrette rarement d’avoir osé, mais toujours de ne pas avoir essayé ».
Donc, Schubert / Cavanna.
Rendez-vous pris avec les 4 invités du soir, 100% filles : Estelle, Gaëlle, Camille et Isabelle.
Installation dans la salle. Je m’assois et j’aperçois devant moi, sur les sièges en cascade, beaucoup de crânes chauves. Reflet d’une certaine catégorie d’âge…
En face, rideau ouvert, scène avec pupitres et chaises noires.
Stéphane, administrateur du Théâtre, prend le micro, présente la soirée et annonce la présence de Bernard Cavanna. Je suis trop loin pour distinguer les contours précis de son visage. Cavanna parle, avec beaucoup d’humour, évoque sa rencontre la veille avec des élèves d’une école de Carhaix, fait part de son émotion. « Si ce soir, certains n’aiment ne serait-ce que 1 ou 2 minutes de Schubert, ça sera déjà formidable. »
J’aime l’état d’esprit.
Les lumières s’éteignent, l’ensemble Ars Nova arrive sur scène, s’installe, suivi de la chanteuse Isabelle Lagarde, vêtue d’une robe longue rouge au décolleté bordé de roses.
Avant chaque morceau, Isabelle Lagarde le présente en quelques mots. Sa façon de déclamer les vers me bloque un peu. Surjoué ou au contraire pas assez joué (?), j’attends…
Le concert commence, le violon, le violoncelle et l’accordéon se rejoignent. Deux instruments à cordes dits « nobles » alliés à un instrument à vent, plus populaire. Un choix osé de Bernard Cavanna. Le mélange fonctionne, plus que je ne le pensais.
Je reste insensible à certains morceaux, je plonge dans certains autres. Je suis déroutée par le changement de style à chaque titre. J’aurais certainement préféré un regroupement dans les musiques. J’ai à peine le temps de plonger dans un morceau que je ressors d’un coup au morceau d’après. Je suis un yoyo. J’aime. Je n’aime pas. J’aime. Je n’aime pas. J’aime. Mais l’émotion est là lors de Romance, La jeune nonne, Ode à la lune, Le calme de la mer et encore Le roi des Aulnes. Toujours des morceaux mélancoliques…
Entre les Lieders de Schubert, des mouvements du Trio n°1 pour violon, violoncelle et accordéon de Bernard Cavanna. On passe du classique au contemporain. Presque à la musique expérimentale. J’ai été très intriguée par ces mouvements. Il s’en dégage un tourment, une peur, une colère. Au premier mouvement, j’imagine les notes sur des images de Truffaut, je vois un Jean-Louis Trintignant courant dans les rues de Paris, affolé. J’aime en étant effrayée. Et c’est assez étrange de se dire cela. Aimer en étant effrayer… En l’écrivant, en me lisant, je pense alors aux films d’horreur. C’est un peu la même chose. On aime se faire peur. Pour se tester, chercher le frisson, une montée d’adrénaline. Pour se sentir vivant ?
Les lumières se rallument. Concert terminé. Nous nous dirigeons vers le bar.
Stéphane vient me dire que Bernard Cavanna va bientôt arriver. Je prends un cidre en l’attendant.
Il déboule d’un coup, un sourire sur le visage.
Moi : « Vous avez quelques minutes ? »
Lui : « Oui, bien sûr, et tout le reste de ma vie aussi ! »
Le ton est lancé.
Je ne sais plus exactement quelle a été ma première question : elle a été immédiatement balayée par sa première réponse : « Nous sommes tous des animaux de liens ».
La phrase me percute le cerveau. Lien. Animaux. Instinct. Vivant. Naturel. LIEN. Ce mot qui me guide chaque jour.
Animaux de liens. « On sait bien que l’on va tous crever… C’est pour cela… ce tragique, cette ivresse, le fric… on enfouit tout ça quelque part, pour oublier cette condition… »
Lunettes rondes visées sur le nez, cheveux indisciplinés, paroles saccadées, Bernard Cavanna, emmitouflé dans son manteau et enroulé dans son écharpe – il ne quittera ni l’un ni l’autre de toute la rencontre – me fait penser à un savant fou.
Je sens chez lui une extrême sensibilité et une rage de la société. Bernard Cavanna est un révolté. Un révolté doux, plein d’humour.
« Heureusement que les gamins vont sur Facebook… ils regardent moins la télé comme ça, toutes ces imbécillités qu’on leur propose… Sur Facebook, ils regardent des photos, des vidéos, ils s’ouvrent sur le monde, découvre autre chose ! »
Nous parlerons aussi de l’avenir de la musique classique, son champ qui se rétrécie de plus en plus. « Dans une cinquantaine d’années, on n’en écoutera plus… Moi qui suis optimiste, là, je suis très pessimiste sur la question… Les politiques n’y croient plus… ».
Je lui fais remarquer que si on commence à ne plus croire aux choses parce que les politiques n’y croient plus de leur côté, on n’aurait plus d’espoir, ni sur la musique classique, ni sur beaucoup d’autres choses.
Ses petits yeux me sourient.
Le temps passe, les mots dansent.
Il est temps de nous séparer. Bernard attrape mon carnet et note son mail et son portable.
On s’embrasse. Il vise son chapeau sur la tête et disparaît sous la lumière jaune du parvis de la place.
Retour sur mon partenariat avec le Théâtre de Cornouaille.
1 Comment
Une jolie soirée en agréable compagnie ! Sympathique découverte, belles rencontres. Merci Delphine !